En 1988, j’ai séjourné à Berlin-Ouest. Cette ville coupée en deux m’a fasciné. J’ai fait quelques excursions à l’Est qui ont renforcé cette fascination. Je me souviens de la première fois où j’ai découvert le mur de Berlin, c’était à deux heures du matin, dans la pénombre et je ne m’en suis jamais tout à fait remis. Depuis 25 ans j’essayais en vain d’écrire une histoire autour de ce mur. Je suis retourné dans la capitale allemande en 2014 et ce fût une révélation. L’histoire de ce roman m’est apparue comme une évidence. Alors je me suis mis au travail et quatre ans plus tard, mon premier roman voyait le jour. Je l’ai fait lire à quelques personnes de mon entourage qui m’ont encouragé à aller plus loin. Alors je me suis lancé dans l'aventure de l'autoédition. Pourquoi l'autoédition ? Pour rester pour rester propriétaire de mon œuvre.
Voici un extrait de mon premier roman Sous les Tilleuls (UNTER DEN LINDEN)
Berlin-Est, jeudi 4 septembre 1980
Wolfgang déposa Werner à l'angle de la Staline Allee et Warschauer Strasse. Il eut du mal a s'extirper de la trabant 601 dont le siège passager était défoncé.
- Ta bagnole est vraiment pourrie lança-t-il à son ami
Oui, tes jambes sont neuves, mais moins rapides... Ironisa t il
Allez à jeudi Wolfgang et fais attention à toi.
En guise de salut, Werner joignit ses 2 poings. C'était leur signe à eux, symbole de leur emprisonnement de ce côté du mur. Son ami lui fit un geste de la main et démarra en trombe, aussi vite que pouvait le permettre le moteur 2 temps. Un nuage de fumée jalonnait son démarrage.
Werner s'engagea direction Alexander Platz ou il avait rendez-vous. L'odeur d'essence brûlée lui sauta aux narines. Les voitures pourtant peu nombreuses malgré la proximité du centre-ville, infestaient l'atmosphère. Lui qui venait de la campagne sentait ses choses-là. « Il paraît que c'est pire à l'ouest » se dit-il.
Werner était en retard et décida de prendre le U-bahn pour rejoindre le terminus plus rapidement. Il s'engouffra dans le souterrain d'où la chaleur sortait. Quatre stations qu'il parcouru dans le vacarme d'un métro qui semblait se disloquer à chaque mouvement. Il haïssait cette ville, qui symbolisait encore plus l'emprisonnement qu'il éprouvait. Il ressentait comme un cafard mêlant plusieurs sentiments ; L'angoisse, l'impatience et l'envie.
Au terminus, il quitta le wagon et aira lentement dans les couloirs et les escaliers de la station, comme il le faisait à chaque fois. Il cherchait le son du métro de l'ouest, pensant qu'à quelques mètres passait la liberté, celle dont il rêvait. Depuis le 11 août 1961, cette station symbolisait l'ambivalence de cette ville, un couloir de démocratie dans cette RDA dont il ne voulait pas. Cette ligne 8 qui faisait vibrer les murs, cette ligne 8 dont le grand père de Wolgang leur avait tant parlé, celle qui reliait LeinsterStrasse à Paracelsus Bad. Un lien entre l'ouest et l'ouest en passant par l'est avec ses 5 stations fantômes, dont Alexander Platz. Le grand père de Wolgang la prenait après-guerre pour rentrer du travail et retrouver sa famille, jusqu'à la construction du mur. DIE MAUER. Il haïssait cette ville, tout en rêvant de Berlin la sœur, l'autre, celle de l'ouest.
Il regarda sa montre, 10H ! Il était en retard. Monica ne pouvait pas l'attendre. Il allait la perdre alors qu'elle prenait des risques pour semer les agents de la Stasi. Quatre mois qu'ils ne s'étaient pas vu. Les autorités de Bad Saarow, la ville où vivait Monica, avaient déclaré leur relation inappropriée. Ils avaient promulgué plusieurs jugements contre le jeune homme, à la demande de la famille de sa compagne pour mettre fin à cette histoire d'amour. Werner était « persona non grata » dans la ville où il était né. On l'avait transféré dans une usine du nord de Berlin, à 100km de Monica et il devait s'abstenir de toutes relations avec elle. Heureusement Wolgang faisait passé les lettres par une amie de la jeune femme.
Werner n'était pas un novice aux yeux des autorités. Il avait été condamné plusieurs fois pour des propos contre le régime et des bagarres. A l’adolescence, il avait été mis sous les verrous pendant 2 ans pour « non-respect de la vie en communauté socialiste ». Ce n'était pas un garçon fréquentable aux yeux des proches de Monica. Il était son aîné de 5 ans et avait trop d'influence sur elle. Oui il lui ouvrait les yeux sur cette vie qu'on leur promettait. Cette vie faite de mensonges et de privations. Lui n'en voulait pas et ils s'aimeraient en liberté ailleurs.
Il se plaça à l’arrière, sur Alexander Strasse et patienta. Son cœur battait fort. Était-elle déjà passée ? Non impossible ! Il ne pouvait pas y croire. « Quatre mois d'attente et trouver le moyen d'être en retard » pensa-t-il. Rapidement il vit Monica sortir d'une petite cour. Elle s'engagea sur Hans Beimler Strasse et sauta dans le tram qui venait de s’arrêter à l'angle de la MollStrasse. Werner en fit de même. Monica était ravissante, comme à son habitude. Il était vraiment fou amoureux d'elle. Il se cacha un peu dans le tram hors de sa vue pour l'admirer. Il retardait ce moment qu'il souhaitait tant, comme pour mieux le savourer.
Il s'avança et alla s’asseoir à côté d'elle. Elle sourit en le voyant et ils s'enlacèrent longuement en murmurant des « je t'aime », « tu m'as tellement manqué ».
Comment as-tu fait pour semer la Stasi demanda Wenner ?
J'ai profité de faire mon inscription à la fac pour venir à Berlin, puis je suis entrée dans la brasserie et je suis allée aux toilettes. Je suis sortie par la fenêtre arrière. J'ai traversé un hall d'immeuble pour ressortir dans la cour et me voilà
On n’a pas trop de temps. Il ne faut pas qu'il nous trouve sinon tu vas avoir des ennuis.
Je m'en fou, Werner, je veux rester avec toi, je t'aime. Ils ne peuvent pas nous séparer.
Tu es mineur reprit il, tes parents pourraient demander ton placement dans un établissement fermé, sans sortie. Il ne faut pas tout gâcher. On va jusqu'au terminus du tram et on revient de la même façon. Ça nous laisse 15 bonnes minutes.
Ils profitèrent de ce moment pour s'embrasser, s'enlacer et échanger des mots d'amour. Ces rencontres furtives ne faisaient que renforcer leur amour. Personne ne pouvait détruire ça et surtout pas la Stasi. Arrivé au terminus, ils descendirent chacun de leur côté, Monica fit le tour du pâté de maison et revînt prendre le tram qui patientait de l'autre côté. Werner longea le boulevard et alla un arrêt plus loin pour l'attendre. Quatre longues minutes de séparation qui leur paru une éternité. Werner retourna s’asseoir près de sa chérie et ils continuèrent à parler ensemble sur leur ressenti de cette situation.
Ils échangèrent sur leur projet de quitter la RDA, a voix basse. Quitter cette prison qui les emmurait et empêchait leur amour. Là-bas, de l'autre côté ils pourraient vivre heureux, sans barrière. Monica lui avoua qu'elle était montée en haut de la Ferneshturm et avait admiré l'ouest. Cette tour émettrice perchée à 368m de hauteur permettait une vue panoramique de la ville, sans mur. Elle avait gardé ce souvenir en elle, ainsi que les mots de son père qui expliquait que l'avenir était à l'est. Que le capitalisme allait tuer l'ouest et qu'ils vivaient du bon côté. Elle s'était toujours demandé si son père lui avait tenu ce discours parce qu'il y croyait ou par peur des oreilles qui les entouraient. Son métier d'instituteur ne lui permettait pas beaucoup d'écart, au risque de perdre son poste.
Un homme vînt se placer sur le siège derrière eux, interrompant leurs rêveries. Il fallait se méfier de tout le monde ici. Ils se turent et se levèrent à l'approche de MollStrasse. Il fallait déjà se quitter. Ils s'embrassèrent et Monica descendit pour aller vers la faculté faire son inscription. Les larmes dans les yeux, elle lâcha la main de Werner qui lui murmura :
Je t'aime, je ne t'abandonnerai jamais. On va y arriver courage !
On se revoie quand sanglota-t-elle ?
Je t'écrirai rapidement, file.
Monica sauta du tram avant que les portes ne se referment. Sur le trottoir elle regardait son amant interdit. Les portes closes les séparaient, elle aurait voulu tendre les mains, le toucher encore, l'embrasser. Elle se surpris à cirier « je t'aime Werner, ne m'abandonne pas »
Lui avait tourné le dos pour ne pas se laisser emporter par la vague de tristesse qui le submergeait. Il l'entendit crier, mais résista, car l'homme qui s'était placer derrière eux à l'arrêt précédent le regardait fixement. Il se méfiait de tout le monde au point de devenir paranoïaque. Ne faire confiance à personne ici ! Même pas à ses parents. Il continua après l'arrêt d'AlexanderPlatz, l’Alex comme on disait ici, descendit sur l'avenue et marcha tout droit, les yeux vitreux. Il s’arrêta sur Liebknechtbrüke, le pont qui enjambait la Spree et s'accouda en regardant l'eau. Il eut un moment l'envie de mourir, d'en finir. Il n'avait pas d'avenir ici et il ne pouvait aller ailleurs, alors à quoi bon se battre ? Mais se battre pour vivre libre avec Monica, voilà ce qu'il devait le tenir en vie.
C'était une idée fixe chez lui, quitter la RDA et rejoindre Berlin ouest. Ne croire qu'en ce rêve pour qu'il devienne réalité. Ses larmes coulaient dans la Spree. La rivière les entraînait vers l'ouest, vers la liberté... Comment fuir comme ses larmes ? Non beaucoup d'allemands de l'est avaient essayé en vain. Son oncle Michael était mort noyé dans le canal de Teltow en 1966 après avoir essuyé les tirs des gardes-frontière. Il s'en souvenait. Âgé de 9 ans, on lui avait caché, mais il avait surpris la Stasi venue annoncer à sa mère que son frère était mort. Son frère, la honte de cette famille qui ne respectait pas la patrie. Son père avait failli perdre son emploi. Par la suite, ses parents devinrent de bons socialistes, membre du SED, dénonçant au passage quelques concitoyens qui n'étaient pas dans la ligne de conduite du parti. Des collaborateurs aux yeux de Werner. Il s'était souvent engueuler sur ce sujet avec ses parents. Ils se justifiaient en disant que ça leur permettait de conserver leurs emplois et que c'était bon pour son avenir à lui.
Sur ces pensées, il se releva, plein de haine, et marcha sur Unter den Linden. Il stoppa devant un monument. Quelques touristes regardaient la relève de la garde et prenaient des photos. Il eut envie de leur parler, mais il ne pouvait pas les aborder comme ça, ça aurait été trop visible. Il continua son chemin, traversa plus loin et revint sur ses pas. Il suivi deux jeunes touristes jusque dans un bar. Il s'assit à la table à côté d'eux et les écouta parler. Ils étaient français et la musique de cette langue lui fit chaud au cœur. Il se retourna vers eux et leur demanda une cigarette en allemand. Ils ne comprirent pas de suite, puis tendirent le paquet. Un paquet blanc avec un nom dessus : Peter Stuyvesant. Il ne connaissait pas cette marque, mais le tabac était bon. Léger et plein de saveurs. Ça le changeait des « club » qu'il fumait habituellement. Il les remercia par un « thank you ». Les touristes essayèrent d'entamer la discussion, mais ils ne parlaient pas allemand et Werner un très mauvais anglais. Ils réussirent tout de même à échanger quelques banalités.
Werner comprit qu'ils venaient de l'ouest de la France et qu'ils étaient étudiants. Ils parlaient fort, peu habitué à se cacher ! Il leur fit comprendre qu'il souhaitait leur servir de guide. Il voulait passer du temps avec eux pour s'évader. Ils acceptèrent et tous les trois parcoururent les rues de Berlin-Est. Au fur et à mesure de la journée, ils se comprenaient de mieux en mieux. A chaque fois qu'un des deux français posait une question sur les conditions de vie en RDA, Werner restait évasif dans la réponse. Il ne pouvait pas parler comme ça dans la rue.
Les deux Français étaient en vacances, longues vacances. Ils parcouraient l'Europe et se trouvaient à Berlin depuis deux semaines. Ils logeaient chez des amis, surtout des amies. Leurs parcours les avaient entraînés de La France à Berlin en passant par Londres, Glasgow, Amsterdam, le nord de la Hollande et Hambourg. Ensuite, l'un d'entre eux rejoignait une amie en Italie et l'autre s'envolait vers le Californie... Tous ces noms de ville faisaient tourner la tête à Werner. Tous ces pays qu'il voulait voir, quand il serait libre de voyager autre part que dans le bloc soviétique. Sauf peut-être les États Unis, l’Amérique du nord ne l'inspirait pas. Pourquoi ? Il n'en savait trop rien. Peut-être que la propagande qu'il subissait depuis son plus jeune âge portait ses fruits.
Après la visite touristique, ils firent quelques bars ? Ils parlaient à base de peu de mots anglais et de beaucoup de gestes. Mais ils y arrivaient bien. Rapidement, les deux Français manquèrent d'argent. Les 50 Östmarks échangés contre 50 Deutschemarks ne suffisaient plus. Werner les emmena vers une de ses connaissances qui changeait avec un taux plus avantageux pour cette monnaie qui n'était pas cotée sur les marchés internationaux. Ils retournèrent vers Alexander Platz et s'arrêtèrent à un angle de rue. Werner leur demanda combien ils souhaitaient d'argent. Il prit les DM, traversa la rue et se planta devant un fleuriste. Ils parlaient ensemble. Il fit le chemin inverse et tendit discrètement les OM à ses amis du moment. Les poches pleines d'argent, ils se dirigèrent vers le club le plus chère de Berlin Est. Seul les touristes et les Berlinois de l'est les plus privilégiés pouvaient y entrer. C'était un endroit surveillé par la Stasi, mais le bruit de la musique couvrait les discussions. Enfin c'est ce que pensait Werner.
Ils entrèrent dans l'établissement. Il y avait un peu de monde pour un soir de semaine, surtout beaucoup de militaires qui semblaient un peu tous ivres. Les Français, Laurent et Christophe, après avoir commandé à boire étaient déjà sur la piste de danse à se trémousser. Ses nouveaux amis, agréables régalaient comment tous les occidentaux qui passaient le mur. Leur sympathie maladroite pouvait devenir méprisante. Ils offraient des cigarettes, des verres, leur affection, comme si de ce côté du mur on manquait de tout cela. Non c'était de la liberté qu'ils auraient dû leur amener. Se rebeller contre cette dictature qui opprimait l'ensemble des pays sous le giron soviétique. Ici on ne voulait pas de leur agent, de leur compassion. L'ouest ne comprenait pas leur problème. Certes tous ces touristes leur étaient agréable, mais les petites attentions ne font pas les guerres. Il y avait un combat à mener. L'occident avait baissé les bras.
Les deux français venaient de se rasseoir. Ils commençaient vraiment à être saouls et Werner en profita pour leur parler :
Tout à l'heure je ne pouvais pas m'exprimer dans la rue commença-t-il dans son anglais approximatif, mais oui je ne suis pas heureux. Je veux fuir la RDA avec mon amie et un copain.
Les français voulurent répondre, mais Werner les arrêta :
Chuttt. Nous n'avons pas beaucoup de temps avant que vous repartiez vers Berlin Ouest. J'ai besoin de vous pour réaliser mon plan d’évasion.
Il laissa un silence... Les Français si bavards se faisaient moins entreprenant. Toujours pareil avec les occidentaux ; ils offraient leurs cigarettes et leur argent, mais ils tremblaient à l'idée de partager, de prendre des risques pour la liberté des autres. Celle qu'ils possédaient, mais qu'ils ne voulaient pas partager. Devant leur mutisme, Werner se leva et commença a se diriger vers la sortie. Laurent le rattrapa et lui dit :
De quoi as-tu besoin ? Dis-nous ce que tu attends de nous ?
Il sortit un plan et leur expliqua, leur faisant reformuler pour s'assurer qu'ils comprenaient bien.
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